Ailleurs ... Orléans et le Musée-Mémorial des enfants du Vel' d'Hiv'
La création, à Orléans, du Centre d'Etude et de Recherche sur les Camps d'Internement du Loiret (Cercil) en 1991 illustre bien l'évolution de l'histoire et de la mémoire de la Shoah en France. « Il ya trente ans, c'était une urgence (…), l'histoire était à écrire », rappelait la cheville-ouvrière du projet, Hélène Mouchard-Zay, fille cadette de … Jean Zay, ministre de l'Education nationale et des Beaux-Arts du Front Populaire, arrêté par Vichy et assassiné par la Milice en juin 1944(1) En janvier 2011, l'association inaugure, en présence du l'ancien Président Chirac, de Simone Veil et de Serge Klarsfeld, un Musée-Mémorial installé dans une ancienne école maternelle de la ville, consacré à la fois aux camps d''internement du Loiret (Pithiviers, Beaune-la-Rolande, et Jargeau pour les Tziganes), et aux 4700 enfants qui y furent transférés au lendemain de la Rafle du Vel' d'Hiv', avant d'être acheminés et assassinés à Auschwitz. Le Musée-Mémorial est aujourd'hui rattaché au Mémorial de la Shoah de Paris (2).
Tenter « d'arracher à l'oubli les personnes disparues, sans traces ni sépulture », un « interminable travail » (H.Mouchard-Zay), magnifiquement concrétisé dans un livre-référence publié par le Cercil en 2006 (3); parmi les 928 déportés (dont environ 80 rescapés), 101 font l'objet d'une fiche rédigée par leurs proches (enfants, frères et sœurs, neveux et nièces) et illustrée de photos, de lettres, de documents qui peuvent, effectivement, « les arracher de l'oubli ».
Mais Orléans, c'est aussi ce Musée-Mémorial des enfants. Avec les femmes – et sans doute plus que les femmes – les enfants sont les grands oubliés de l'histoire, les grands absents (au regard des adultes) des informations accumulées au fil des recherches. Sauf, peut-être, à l'occasion de tragédies, telles que la Shoah. Avec l'opiniâtreté et le courage qu'on lui connaît, depuis maintenant une bonne trentaine d'années, Serge Klarsfeld a entrepris de donner à chacun des 11400 déportés juifs de moins de 18 ans « son état-civil, nom, prénom, date et lieu de naissance, … adresse de son arrestation » , et un visage pour plus de 4000 d'entre eux (photos exposées dans la salle des Enfants du Mémorial de la Shoah de Paris) (Le Monde, 18 février 2008) Le convoi 6 évoqué précédemment fut le premier, en France, à inclure des enfants.
« Paroxysme de le solution finale en France » (S. Klarsfeld), le ''convoi des mères'' (en réalité les convois) , peu après la Rafle du Vel' d'Hiv' : le 30 juillet, les 2 et 6 août à Pithiviers, les 4 et 6 août à Beaune-la-Rolande, partent plusieurs convois qui conduisent à Auschwitz les adultes raflés , surtout des femmes, auxquelles les gardes français arrachent les enfants, qui demeurent livrés à eux-mêmes dans les camps quasi-vides , avant d'être à leurs tours déportés et assassinés (Berlin a accepté la demande réitérée de Vichy d'accepter aussi des mineurs juifs) . Sur ce sujet on pourra se reporter au poignant livre de Rolande Causse - texte - et de Gilles Rapaport – dessins (4) ; les œuvres de celui-ci se retrouvent dans le parcours de visite du Musée-Mémorial d'Orléans. Extrait :
« J'ai encore dans les yeux la panique des enfants » a raconté une grand-mère , témoin, à des élèves. « Des grandes filles s'occupent des plus jeunes. Certains sanglotent sans arrêt, sans voix. Gigotant à même le sol, des bébés ne cessent s'égosiller, puis épuisés ils gémissent et se taisent. Un tout petit garçon a ôté ses vêtements, il est nu contre un poteau, égaré. Des enfants apeurés, épouvantés, inconsolables »
Pour les Ardennes, Christine Dollard-Leplomb a sorti de l'oubli une cinquantaine de noms d'enfants juifs déportés, dans leur immense majorité des fils et filles des travailleurs agricoles de la WOL ; 7 avaient moins de 5 ans... Son travail a contribué ainsi à les graver dans le marbre des mémoriaux ardennais (5)
Le sujet de la déportation et de l'assassinat de masse des enfants a longtemps été un sujet tabou, refoulé, même si des témoins savaient ce qu'il s'était passé, connaissaient au moins leur existence. Il est vrai que la spécificité de la Shoah a mis de longues décennies pour sortir de la confusion, du non-dit. Alors, vous pensez, les enfants …Et pourtant, la logique nazie de la ''Solution finale'' impliquait l'anéantissement des jeunes générations juives … Une fois admise cette triste réalité s'est posée (et se pose toujours, inévitablement) une question plus ''méthodologique'': peut-on vraiment taire son émotion spontanée face à la mise à mort programmée d' enfants ou, en tout cas, comment essayer de la canaliser au mieux afin de sauvegarder le recul nécessaire à toute étude historique ? J'y ai été confronté lors des trois voyages d'étude à Auschwitz, avec la réaction de lycéen(ne)s anéanti(e)s devant des vêtements ou des photos de nourrissons voués à la mort, assimilant en quelque sorte ces derniers au petit frère, à la petite sœur … Et je ne suis pas certain que l'indispensable travail de préparation mené en amont ait pu amortir la violence du choc émotionnel. Est-ce le ''prix à payer'' pour transmettre la mémoire de la Shoah aux jeunes générations ?
(photos PS)
Notes
- La République du Centre, édition du 18 septembre 2021
- (https://www.musee-memorial-cercil.fr/)
- Pithiviers-Auschwitz. 17 juillet 1942. 6 h 15. Convoi 6. Camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande
- Le Convoi des mères, Cercil, 2014
- On se reportera aussi avec émotion à son petit (… par le format) livre , Sauveteurs d'étoiles en Ardennes, Terres Ardennaises, 2006, qui aborde cette fois la question des ''Justes'' ardennais.
Ce billet du 27 juin est le dernier de la saison. Je reprendrai sans doute la rubrique à la rentrée de septembre, toujours avec le même plaisir de partager la passion pour l'histoire, et le même souci de regarder au-delà de l'espace bien étriqué de nos Ardennes.
D'ici là, bonne pause estivale !
(pour celles et ceux qui souhaiteraient me joindre, pascalsabourin08@yahoo.fr ; mais soyez patient(e) je tarde souvent à répondre ...)