En marge de la visite de la basilique d'Avioth …
le portail de l'église de Mont-devant-Sassey (suite et fin)
Les sculptures qui animent les piédroits du portail sont de qualité esthétique fort moyennes ; elles semblent l'oeuvre d'un artisan ''local'' à la technique hésitante, mais bien documenté, pleinement imprégné de l'air du temps, à la charnière de la splendeur romane finissante et de l'humanisme gothique naissant.
Mais je voudrais ici m'arrêter sur la représentation d'Eve, une figure majeure de l'iconographie romane. Sauf erreur, elle est absente des églises médiévales ardennaises : rien de surprenant, leur décor extérieur figuré qu'elles conservent encore est plus tardif, à quelques rares exceptions près (Baâlons, Cheveuges, Malmy...). Il faut donc aller à Verdun, à Reims, à Trèves, ou ici, à Mont-devant-Sassey. Le constat, on s'en doute, vaut pour son pendant masculin, Adam.
Les connaisseurs de la sculpture médiévale ont spontanément à l'esprit l'extraordinaire linteau réalisé à Autun vers 1130 par Gislebertus. Un feu de paille génial. Ici, rien de comparable. La difficulté de la représentation de la Mère et du Père de l'humanité tient en particulier à la nudité Celle-ci se doit de bannir toute sensualité, essentiellement chez la femme ; car les théologiens, dans la foulée de Burchard de Worms, mettent en garde contre la fragilité vénéneuse de celle-ci … D'ailleurs, à Mont-devant-Sassey, le serpent qui se dresse le long de la jambe jusqu'à la poitrine dénudée le rappelle explicitement, juste face de Marie ; Adam, encombré de ses mains qu'il croise comme il peut devant lui, la regarde, manifestement dépassé par les événements, et laisse pendre à son bras la peau d'une bête écorchée. La pudeur est sauve, les deux personnages portent un pagne de feuillage – et les seins d'Eve renvoie à la ''fonction'' nourricière féminine, point de malentendu !
Mont-devant-Sassey Verdun Trèves (copies)
Le bloc sculpté visible dans le cloître de la cathédrale de Verdun provient du chevet de l'édifice ; il daterait de la seconde moitié du XIIème siècle ; comme il ne s'agit pas de statues-colonnes, la mise en scène peut se faire plus dynamique, plus dramatique, plus tourmentée.
Enfin, à Trèves, l'église de la Vierge adossée à la cathédrale témoigne de l'émergence du gothique en Allemagne, peu avant le milieu du XIIIème siècle ; son portail comporte 6 statues-colonnes (2 x 3) postérieures à 1260 ; Eve et Adam se font face, cette fois dans une nudité intégrale, partiellement masquée par des éléments végétaux.
Le Palais du Tau de Reims conserve des éléments d'une histoire d'Adam et Eve, datés de 1235, à l'origine installés dans les voussures de la rose du bras nord du transept ; ils comptent parmi les plus anciennes sculptures gothiques de la cathédrale. Les ancêtres de l'humanité sont représentés cette fois au travail : Eve, toujours la poitrine dénudée et assise, file la laine pendant que son ''époux'' semble bêcher la terre ; détail significatif, ils portent un pagne de tissu, donc fabriqué, et non végétal: ils ont bel et bien quitté le Jardin d'Eden pour le monde des hommes … et pour un emplacement en hauteur extrême qui les extrait du côtoiement de ces hommes.
Une autre figure féminine s'impose alors, celle de la Vierge. Jadis cantonnée au rôle de présentatrice de l'Enfant, elle prend une place de choix dans le programme iconographique monumental à partir des années 1200. Comme sur le tympan d'Avioth.
Signalons néanmoins la curieuse réapparition du Couple premier aux lendemains de la Première Guerre mondiale sur un chapiteau du portail de la nouvelle église de Juzancourt... dans un style pseudo-roman (vraiment) archaïsant.
(Photographies : Pascal Sabourin)