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Onzième chronique de Pascal Sabourin

Onzième chronique de Pascal Sabourin

Réflexions (2) D'un retable à un autre. De Châlons-en-Champagne à Asfeld :
un Moyen Age sans fin ?
 
75 km séparent géographiquement les deux localités, mais plus d'un demi-millénaire, les deux retables.
 
Les retables apparaissent au cours du Xème siècle ; ils se multiplient à partir du XIIIème pour connaître dans toute l'Europe un développement exceptionnel jusqu'au XVIème ; même s'ils se déclinent encore jusqu'à l'âge baroque,il s'agit donc bien d'une création médiévale (1) Schématiquement, il en existe deux catégories : la première regroupe les réalisations de pierre, de plus en plus imposantes au fil des siècles, et théoriquement statiques ; quant à la seconde, un peu plus tardive (?), souvent en bois peint ou sculpté, fermée ou non de volets, elle constitue un réel mobilier religieux. Le programme iconographique prolonge celui de l'autel auquel il est associé ; à partir du XIIIème siècle fleurissent de plus en plus des thèmes glorifiant les saint(e)s, locaux ou non – celui de l'église de Saint-Morel, au triste destin, était dédié à saint Maurice (2)
 
 
Mais sans éclipser les références christiques et mariales. Celui que présente le Musée des beaux-arts de Châlons-en-Champagne est d'ailleurs consacré à la Passion du Christ, un sujet tout à fait révélateur de la sensibilité religieuse du Moyen Age finissant (l'oeuvre est datée du milieu du XVème siècle). Je reprends ici très partiellement les éléments descriptifs de Philippe Pagnotta (3) ; il « comporte une caisse en bois de chêne assemblée à queue d'aronde (…) ; structurée en cinq compartiments par un décor d'architecture gothique, la caisse présente quatre épisodes de la passion répartis autour de la Crucifixion centrale (...) ». Précision importante, « ce retable a été entièrement repeint sans doute au XIXe siècle ». Artistiquement parlant, il « reproduit certains traits caractéristiques du style bruxellois, mais ceux-ci sont réinterprétés dans un dialecte local »
 
 
 
Photographie 1 onzième chronique
 
 
 
(Photographie : P. S)
 
 
 
Cinq cents cinquante plus tard, nous voici à Asfeld. Non pas à l'église saint-Didier,.A la petite chapelle N.D. de Pitié, reconstruite en 1865. Ce qui retient ici l'attention, c'est le retable en trois panneaux (triptyque) démontables, œuvre de 2003 d'un ancien menuisier ébéniste local, Emile Romagny.
 
Photographie 2 onzième chronique
 
(Photographie : P. S)
 
Ainsi que l'explique son créateur (4), l'oeuvre se décompose en trois parties ; chacune se rapporte à un mystère de la foi chrétienne : à gauche la Nativité (mystère de l'Incarnation), à droite la Cène (mystère de l'Eucharistie) et au milieu la Porte 2000 (mystère de la Rédemption, à l'aube du basculement dans le nouveau millénaire). Certes, la réalisation, très belle, très sobre, s'inscrit dans une facture figurative ''réaliste'' – la sérénité qui s'en dégage contraste par exemple avec le bouillonnement tourmenté du retable monumental de la nouvelle église de Bogny-sur-Meuse intitulé « Le mystère de la Foi » du Père Fieullien (1966)(5).
 
 
Panneau central (« La Porte 2000»)
 
 
Dans les deux cas ardennais, il s'agit de pérenniser un mobilier religieux né de la sensibilité médiévale, et absent pendant les neuf premiers siècles de la vie ecclésiale : la réalisation d'un retable ne répondait donc nullement à une obligation canonique ; mais notre imaginaire, ici du catholicisme, reste inconsciemment imprégné dans une très large mesure de ces quelques caractères visuels qui se sont développés au cours du demi-millénaire du Moyen Age ''classique'' (grosso modo 1050-1500). Certes, le Père Fieullien et Emile Romagny s'inscrivent pleinement, chacun à sa façon, dans la modernité de leur époque – tout comme les créateurs des retables de Châlons ou d'ailleurs qui habillent leurs personnages de vêtements de leur époque. C'est à n'en pas douter le triomphe du « temps long » si cher à Fernand Braudel, que l'on aurait tort de balayer d'un revers de main ... tout en en connaissant les limites. Et ces deux retables n'en sont qu'une illustration parmi d'autres.
 
 
(1) Je me permets de citer trois ''manuels'' de grande qualité sur l'art médiéval auxquels on se reportera avec profit (et plaisir!) :
◦ G. Démians d'Archimbaud, Histoire artistique de l'Occident médiéval, Paris, Armand Collin, réed. 1983.
◦ J.P. Caillet (sous la direction de L'Art du Moyen Age. Occident, Byzance, Islam, Réunion des Musées Nationaux et Gallimard, 1995),
◦ Ch. Heck (sous la direction de), Moyen Age. Chrétienté et Islam, Histoire de l'Art Flammarion, 2007.
(2) H. Bonhomme, « L'Eglise de Saint-Morel et son retable », Le Curieux Vouzinois, n°48, juin 1998
(3) P. Pagnotta, « Retable de la Passion dit ''de la prison'' », notice du catalogue de l'exposition Regard sur l'art médiéval. Collections du musée du Louvre et des musées de Châlons-en-Champagne, 2005, p.116
(4) https://fr.calameo.com/read/005506624ff987c530853
(5) M. Coistia, Les églises des reconstructions dans les Ardennes. Le renouveau de l'Art sacré au XXème siècle, Editions Noires Terres, 2013 , p.212-217
(photos P.S.)